Exposition - « PaysSages », douze photographes au Palais abbatial de Saint-Hubert
Vagabondage au-delà du réel
Le paysage le plus beau est celui que nous rêvons. Une belle exposition photographique le démontre à Saint-Hubert. A voir jusqu'au 3 octobre.
Petits ou grands formats, couleurs ou noir et blanc, les photographies rassemblées jusqu'au 3 octobre au Palais abbatial de Saint-Hubert n'ont rien en commun avec les paysages exotiques pour catalogues touristiques ou magazines sur papier glacé. Ils nous font pourtant voyager bien plus et bien mieux que ces derniers car ce qu'ils proposent avant tout, c'est une forme de vagabondage entre réel et imaginaire. Jacques Vilet, l'un des artistes présents, résume cela très bien en quelques lignes : L'imagination est aussi dans le regard et surtout dans le regard. Nous regardons parce que nous imaginons. Nous imaginons, puis nous faisons des images. Et ces images nous font rêver et imaginer à notre tour.
Jean-Louis Godefroid, commissaire de l'exposition, a rassemblé pour l'occasion douze photographes, habitués de l'espace Contretype
à Bruxelles, dont il est l'animateur. Mais si on retrouve de nombreuses choses connues, c'est l'ensemble du parcours, la rencontre des univers dans les hautes salles vieillottes du Palais abbatial et le regard très personnel de chacun des artistes qui nous happent et nous font passer de l'autre côté du paysage.
Tout un monde se cache derrière les gris humides d'Alain Janssens, ses ambiances de pluie, escaliers, draps froissés, villes traversées. Un autre monde, coloré, démultiplié, surgit sur les petits cubes de bois d'Anne Denis, dont chaque face est ornée d'une photographie, le visiteur pouvant composer son paysage à sa guise en les manipulant. Retour au noir et blanc avec Jean-Louis Vanesch : calme, sensation de douceur, de velouté, de mystère pour une balade entre fougères, et herbes folles où l'on s'égare sans crainte, comme dans un rêve.
Lucia Radochonska réalise de grandes images presque abstraites d'où surgissent la crinière, les jambes, le dos d'un cheval. Jean-Paul Brohez partage son univers intime : églantier rebelle, neige clairsemée, branchages fracassés, petite fille aux bottes vertes... Autant de choses si simples, si intimes, si quotidiennes qu'elles en deviennent universelles. Comme cette vision d'un Bruxelles gelé, saisie par la Caravana obscura de Felten-Massinger.
Avec Jacques Vilet, on ressent le vertige du « bord du jour » : falaises, bord de mer, arbres dressés à deux doigts du précipice. André Jasinski photographie les Alpes, déjouant les pièges de la carte postale pour nous faire toucher du regard quelque chose d'impalpable,
à la fois grandiose et intime.
En face, Gilbert Fastenaekens livre ses formidables images de la forêt de Vauclair. Branches, lianes, ronces entrelacées, incroyable magma végétal dont le photographe saisit la vibration intime en grands tirages qui vous happent comme une forêt magique où l'on pourrait se perdre et se transformer en fossile humain.
Thomas Chable questionne le rapport entre la terre et l'homme avec une grande photo de la terre aride de Judée entourée d'une constellation de portraits dont on ne sait à quelle communauté ils appartiennent. Philippe Herbet reconstitue des paysages humains, sociaux, citadins en série de 7 images juxtaposées.
Anne Penders, enfin, est peut-être celle qui nous aura le plus touché. Elle livre de petites séries de deux ou trois images. Celles-ci n'ont pas été assemblées de manière aléatoire mais réalisées l'une après l'autre sur un seul et même film dans un processus conscient de mise en relation. Un travail tout en finesse, en non-dit. Le flou d'une image fait ressortir tel ou tel détail de sa voisine. Paysages en forme d'histoires, de rencontres, de moments où l'esprit, enfin libre, vagabonde. Impression de paix, d'éternité. Un travail de dentellière qui sait voir au-delà des apparences pour éveiller notre imaginaire.·
Jusqu'au 3 octobre au Palais abbatial de Saint-Hubert, tous les jours sauf les lundis, de 13 à 18 heures, entrée 1,50 euro (enfant et étudiants gratuits), 061-250.170, www.province.luxembourg.be.
WYNANTS, JEAN-MARIE
"Le Soir", mardi 7 septembre 2004