La mer qu’on voit rêver
Une dizaine de photographes livrent leur point de vue sur la mer dans une exposition rêveuse
et rafraîchissante.
Face à la mer, un homme est assis sur une bitte d’amarrage. Son imper sombre et son petit chapeau noir contrastent avec le jaune vif de son siège de fortune. Il contemple un paquebot
sur lequel il n’embarquera sans doute jamais. Surréaliste en diable, cette image de Philippe Herbet est joliment intitulée « Magritte à Yalta ».
Présentée à l’Espace photographique Contretype dans le cadre de l’exposition d’été « Mar Mater Materia », elle fait partie d’un ensemble de petits tirages couleurs dont l’artiste a le secret.
Il y a de la nostalgie dans ses images, de la rêverie, de la poésie aussi.
Juste en face, Thomas Chable présente une sorte de long panoramique composé de plusieurs images. Dans un pays dont on peut penser qu’il est situé en Afrique du Nord, des hommes,
des femmes, des enfants sont assis sur des rochers, face à l’océan.
On peut se dire simplement qu’ils sont là par plaisir, jouissant d’un jour de congé ou d’une belle fin de journée. Pourtant, on ne peut s’empêcher d’y voir autre chose. Sans doute, certains sont là par hasard, pour la beauté du paysage. Mais d’autres ne sont-ils pas venus pour attendre quelqu’un, quelque chose ? Un bateau ne va-t-il pas arriver, ramenant au pays un fils, un père, une tante,
une amie ? À moins que ce ne soit le contraire : rêves de départ, d’exil, espoirs de traversée vers d’autres contrées…
Une question de point de vue
À travers deux propositions, Thomas Chable et Philippe Herbet rappellent à quel point la mer peut susciter en nous des sentiments mêlés, divers, contradictoires.
La suite du parcours le confirme amplement. Présent avec une seule image, Sébastien Reuzé
livre une vision sauvage de l’océan. Écume, vague s’écrasant dans un feu d’artifice rappelant les images de galaxies lointaines.
La vision de Bernard Plossu est très différente, teintée de douceur et d’une certaine nonchalance. Un rideau vole, deux vaguelettes blanches s’écrasent sur une mer d’huile…
Alain Buttard plonge dans le blanc d’une mer si lumineuse qu’elle en devient presque impalpable, invisible. Jean-Louis Vanesch fait le pari inverse. Chez lui, tout se joue dans un noir profond engloutissant le photographe et son sujet.
Parmi les images qu’il propose, celle d’un brise-lames dans la pénombre fait le lien avec deux grands tirages d’Elina Brotherus. Fascinée elle aussi par ces longues allées de pavés s’enfonçant dans es vagues, elle en photographie une de deux manières et à deux moments différents.
Elle crée ainsi un trouble du regard des plus féconds. Un beau diptyque démontrant, si besoin était, l’importance du point de vue en photographie.
Jean-Marie Wynants
Le Soir, 5 & 6 août 2006.